La montagne entre nous

de Hany Abu-Assad, 2017, *

Il existe, entre les pilotes et leurs avions, une rela­tion fusion­nelle, mys­té­rieuse et fas­ci­nante. Par exemple, lors­qu’un pilote subit un acci­dent vas­cu­laire céré­bral, son avion va spon­ta­né­ment reve­nir au petit pas, bas­cu­ler sur l’aile ou se mettre en piqué, sans qu’on ait tou­ché aux commandes.

C’est en tout cas ce que nous explique La mon­tagne entre nous, qui nous indique éga­le­ment qu’en cas de tem­pête, les avions de ligne sont cloués au sol mais que les Piper Navajo peuvent voler en subis­sant tout juste quelques turbulences.

C’est aus­si le film, super­be­ment docu­men­té, où l’on apprend qu’un avion qui perd son empen­nage conti­nue plus ou moins sur sa tra­jec­toire. Il faut dire que le pilote a fini son AVC à ce stade, ça doit aider à stabiliser.

Bref, les scènes d’ou­ver­ture de La mon­tagne entre nous sont d’un réa­lisme épous­tou­flant, qui ferait pas­ser un vieil épi­sode de Babar pour un exemple de docu­men­taire pointu.

— Alors là, si tu mets le télé­ob­jec­tif, tu vois plus loin…
— Prends-moi pour un gland, c’est un M4‑P ton truc, on voit tou­jours la même chose dans le viseur.
- pho­to Twentieth Century Fox

Mais ça n’est pas tout.

La vraie carac­té­ris­tique du film, c’est son scé­na­rio, basé sur les ten­ta­tives de sui­cide ratées des deux pro­ta­go­nistes. Ils font en effet tout ce qu’ils peuvent pour mou­rir le plus vite pos­sible : par­tir seule dans la neige avec une jambe en vrac, mar­cher sur une crête sans regar­der où on met les pieds, faire du feu dans un avion où coule de l’es­sen­ce¹, cou­rir après le chien sans regar­der où on met les pieds, dor­mir à deux mètres l’un de l’autre dans la neige, mar­cher en plein milieu d’une éten­due plate en fond de vallée…

Nul de bout en bout ? Non, pour­tant. Certes, le scé­na­rio, qui rêve d’être la fusion entre Titanic et les mémoires d’Henri Guillaumet, semble écrit par un col­lec­tion­neur de cli­chés trop fai­néant pour faire relire son script par qui­conque. Certes, si j’en crois le résu­mé trou­vé en ligne, ledit scé­na­riste a rajou­té masse de conne­ries par rap­port au roman. Certes, réa­li­sa­teur et acces­soi­ristes n’ont rien fait pour amé­lio­rer les choses.

Comme disait Guillaumet : la mon­tagne, ça vous gagne. — pho­to Twentieth Century Fox

Mais il y a aus­si des trucs très bien là-dedans, à com­men­cer par Mandy Walker. Directrice de la pho­to­gra­phie des Figures de l’ombre, de Jane got a gun et de Sortilège (qui est joli à défaut d’être convain­cant), elle fait un beau bou­lot pour pré­sen­ter la mon­tagne, superbe et fas­ci­nante autant que dan­ge­reuse et angois­sante. Elle par­sème le film d’une poi­gnée de plans très réus­sis et assure glo­ba­le­ment une esthé­tique fort agréable. Notons en pas­sant que la mise en scène pro­fite éga­le­ment de quelques angles bien trou­vés et d’un jeu de reflets par­ti­cu­liè­re­ment effi­cace vers la fin, qui peuvent autant être le fait du réa­li­sa­teur que de la direc­trice de la photographie.

Et puis, il y a un duo d’ac­teurs de grande classe. On ne pré­ten­dra évi­dem­ment pas être sur­pris, mais il convient de saluer la capa­ci­té d’Elba et Winslet à faire pas­ser des dia­logues exces­si­ve­ment sucrés et à don­ner un sem­blant de pro­fon­deur à des per­son­nages incon­sis­tants. On n’en dira hélas pas autant de Mulroney, qui a l’air de se deman­der ce qu’il fout là dans toutes les scènes où il appa­raît — pour sa défense, le scé­na­riste aus­si semble ne pas savoir à quoi sert son personnage.

Nous on est riches, très riches, on sait faire des affaires, on est des gens pres­sés. — pho­to Kimberley French pour Twentieth Century Fox

Niaiseux, bour­ré de cli­chés et de rebon­dis­se­ments écu­lés, invrai­sem­blable jus­qu’au fou rire, La mon­tagne entre nous n’est cer­tai­ne­ment pas réus­si. Mais la grâce de son duo d’in­ter­prètes et la qua­li­té de sa pho­to­gra­phie par­viennent presque à sau­ver les meubles et l’ob­jet n’est, fina­le­ment, pas aus­si déplai­sant qu’on pour­rait le craindre.

¹ Pour la défense du doc­teur, il est impos­sible que de l’es­sence coule dans un Najavo à cet endroit-là. Il se trouve que le scé­na­riste n’a pas eu la curio­si­té de véri­fier le cir­cuit des canalisations.