Ultimate force

de Rob Heyland et Chris Ryan, 2003–2006, ***/****

Le Royaume-Uni n’a pas de GIGN ni de RAID. Du coup, quand un lot de tarés prend clients et per­son­nel d’une banque en otage ou quand des ter­ro­ristes tentent de détour­ner un avion, la ges­tion passe direc­te­ment de la police ordi­naire au SAS — le Special Air Service, uni­té d’é­lite de l’ar­mée de terre, qui a tou­jours deux équipes prêtes à inter­ve­nir aus­si bien sur le ter­ri­toire natio­nal que sur ses plus clas­siques opé­ra­tions extérieures.

C’est de cela que parle Ultimate force. La série a une par­ti­cu­la­ri­té : elle a été créée par un ancien du SAS, Chris Ryan, auteur popu­laire de romans par­tiel­le­ment auto­bio­gra­phiques, connu pour avoir mar­ché 300 bornes en Irak pen­dant que le reste de sa patrouille était mort ou cap­tu­ré. Cela a deux consé­quences qui la dis­tinguent radi­ca­le­ment des séries d’ac­tion habituelles.

Comment entrer dans un avion dont les portes sont sur­veillées par des pirates ? — cap­ture d’écran

Tout d’a­bord, Ultimate force est réa­liste. La répar­ti­tion des mis­sions est très arti­fi­cielle, avec beau­coup trop d’in­ter­ven­tions au Royaume-Uni, sans doute pour rap­pro­cher les héros du télé­spec­ta­teur moyen, mais on sent que les acteurs ont été sérieu­se­ment brie­fés sur les atti­tudes, le lan­gage, l’u­ti­li­sa­tion du maté­riel, la pré­pa­ra­tion et la réa­li­sa­tion des opé­ra­tions, etc. Les his­toires sen­ti­men­tales sont plu­tôt limi­tées, les per­son­nages sont pour l’es­sen­tiel des bour­rins dro­gués à l’a­dré­na­line et ils exé­cutent les ordres sans dis­cu­ter, sauf par­fois quand un offi­cier essaie de les empê­cher de fon­cer dans le tas. L’accent est très, très clai­re­ment mis sur l’ac­tion opé­ra­tion­nelle : les éven­tuels dilemmes sont plus sou­vent du genre « bon, les flics, vous vou­lez voir s’il abat l’o­tage ou vous nous lais­sez tirer en pre­mier ? » que du style « faut-il dra­guer la jolie lieu­te­nant ? », et la psy­cho­lo­gie se limite au syn­drome de stress post-traumatique.

Au pas­sage, la plu­part des acteurs n’ont pas des car­rures ahu­ris­santes, mais ils sont plu­tôt secs et mus­clés : c’est tout bête, mais un « chat maigre » qui tient son flingue cor­rec­te­ment et qui court vrai­ment avec quinze kilos sur le dos, ça fait beau­coup pour la cré­di­bi­li­té d’une série. Notons tout de même que cet aspect s’es­tompe d’un coup à par­tir de la troi­sième sai­son, où l’es­sen­tiel du cas­ting dis­pa­raît (la série a été sus­pen­due pen­dant un an) et où débarque une sorte de G.I. Jane clai­re­ment pas assez char­pen­tée pour être réa­liste. La sai­son 3 est d’ailleurs un très net ton en des­sous du reste et c’est la seule où on peut voir des énor­mi­tés sur le plan technique.

Comment gérer un pre­neur d’o­tage ? Simple : visez la tête avant qu’il ait le temps de l’ou­vrir. — cap­ture d’écran

Deuxième consé­quence d’a­voir été écrite par un ancien mili­taire : Ultimate force n’est pas poli­ti­que­ment cor­rect. Dès le pre­mier épi­sode, le ser­gent Garvie abat tran­quille­ment un pre­neur d’o­tage qui sem­blait prêt à se rendre, le sol­dat Dow (petit jeune qui vient de pas­ser les sélec­tions) est vague­ment éton­né mais sans plus, et la suite est à l’a­ve­nant : le SAS est là pour net­toyer et éven­tuel­le­ment pour pro­té­ger les civils, pas pour mener des arres­ta­tions res­pec­tueuses et déli­cates. On ne peut du coup pas pas­ser sous silence l’i­déo­lo­gie assez par­ti­cu­lière de la série, pour laquelle le monde se divise entre les civils (qui font par­tie du décor), les méchants qu’il faut abattre sans hési­ter et les héros qui tirent dans le tas.

Un ins­tant de mora­li­té ? À pre­mière vue, oui : dans la deuxième sai­son, alors que les SAS ont à leur habi­tude fon­cé dans le tas sur un rafiot occu­pé en lou­ce­dé par les Forces spé­ciales fran­çaises, l’ac­cro­chage ne peut être étouf­fé et les héros ont droit à un pas­sage en jus­tice avec exa­men com­plet de leurs pro­cé­dures. Mais après une séance de « on va dire que c’é­tait la faute des Français, ça marche à tous les coups », la morale de ce double épi­sode se résume à : « on a per­du un homme, eux quatre, on gagne ».

Alors, quand on bute des forces spé­ciales fran­çaises plan­quées dans un car­go au Royaume-Uni, on peut être jugé. Je note. — cap­ture d’écran

Il n’y a tou­te­fois pas que de l’ac­tion bour­rine et vague­ment immo­rale. Il y a aus­si une bonne dose d’hu­mour noir, plu­tôt bien ser­vi par des per­son­nages sou­vent désabusés.

Ça ne va pas rendre la série fré­quen­table pour les paci­fistes, les gens sou­cieux de droit inter­na­tio­nal, ceux qui pensent qu’on devrait essayer de prendre les vilains vivants, qui n’aiment pas les assas­si­nats gra­tuits ou que les restes de com­por­te­ment colo­nial bri­tan­nique dérange — bref, pour la plu­part des êtres humains doués d’un mini­mum d’empathie. Mais ça la ren­dra sym­pa­thique pour les ama­teurs de réa­lisme tech­nique par­fois aride, sur­tout s’ils ont un fond un peu cynique.