The accountant¹

de Gavin O’Connor, 2016, ****

Et si Rain Man avait été juste assez ouvert pour pou­voir s’in­té­grer à la socié­té ? Tel est le point de départ de cette his­toire, où un autiste léger devient « le » comp­table, spé­cia­li­sé dans les audits de comptes com­plexes, celui que les grandes entre­prises embauchent quelques semaines lors­qu’elles soup­çonnent des fuites d’argent.

Mais les grandes entre­prises souf­frant de fuites d’argent ne sont pas tou­jours d’une hon­nê­te­té exem­plaire, et cer­tains clients sont même fran­che­ment dan­ge­reux. Heureusement, comp­table iti­né­rant, c’est aus­si une cou­ver­ture idéale, quand on est le fils d’un ancien mili­taire, éle­vé à la dure et entraî­né au com­bat : elle per­met de régler ses comptes dis­crè­te­ment et de se relo­ca­li­ser à l’autre bout du pays en cas de besoin…

Donc, j'ai mis une semaine à trouver une bizarrerie dans un compte, et vous avez démêlé la compta de toute la boîte sur quinze ans en une journée ? Heureusement que vous ne savez pas décoder mon expression, parce que ça vous donnerait la grosse tête. - photo Warner Bros
Donc, j’ai mis une semaine à trou­ver une bizar­re­rie dans un compte, et vous avez démê­lé la comp­ta de toute la boîte sur quinze ans en une jour­née ? Heureusement que vous ne savez pas déco­der mon expres­sion, parce que ça vous don­ne­rait la grosse tête. — pho­to Warner Bros

Donc, voi­là : ce film repose sur un pos­tu­lat pour le moins osé, qu’on nous deman­de­ra d’ac­cep­ter sans faire preuve de trop d’es­prit cri­tique — après tout, les per­son­nages eux-mêmes se demandent à un moment don­né : « quelle était la pro­ba­bi­li­té que ça arrive ? » Admettons donc, et regar­dons la suite.

Heureusement, une fois accep­té le com­bo autiste/génie/comptable/commando, on a affaire à un vrai polar, bien plus cos­taud que le très clas­sique et moyen Le prix de la loyau­té. On suit paral­lè­le­ment l’en­quête entre un duo de flics un peu déjà vu (une jeune et un bien­tôt retrai­té) et la lutte du comp­table contre son der­nier client, au fil d’un scé­na­rio un peu tiré par les che­veux mais bien construit, avec des clefs mul­tiples et des révé­la­tions pro­gres­sives pour assem­bler le puzzle. Les acteurs font leur taf : l’his­toire retien­dra que le pre­mier rôle où Ben Affleck est convain­cant est celui d’un autiste, tan­dis que J.K. Simmons confirme sa capa­ci­té à pas­ser du sym­pa­thique au gla­çant en une seconde. La pho­to est cor­recte, et sur­tout réa­li­sa­tion et mon­tage assurent un rythme vif et entraînant.

Le fameux "bon vieux travail de police à l'ancienne" : une femme noire qui bosse pendant qu'un quinquagénaire blanc boit du scotch. - photo Warner Bros
Le fameux « bon vieux tra­vail de police à l’an­cienne » : une femme noire qui bosse pen­dant qu’un quin­qua­gé­naire blanc boit du scotch. — pho­to Warner Bros

On touche au pas­sage à la place et l’é­du­ca­tion des autistes dans notre uni­vers, avec quelques flashes-back plu­tôt réus­sis ; on traite éga­le­ment du tra­fi­co­tage de comptes et du dilemme moral concer­nant une entre­prise qui sauve des vies et répare des bles­sés, mais qui triche sur son bilan, et comme dans tout bon polar on a droit aux ven­geances entre mafio­si ou aux rela­tions entre frères et équipiers.

Vous l’au­rez com­pris, l’en­semble n’est pas réa­liste pour un sou. Mais c’est pre­nant, fran­che­ment bien mené, et c’est un polar qui se dévoile peu à peu comme on les aime. Si quelques scènes un peu faibles ter­nissent l’en­semble, ça reste une dis­trac­tion effi­cace tout à fait adap­tée aux ama­teurs du genre.

¹ Le Comité anti-tra­duc­tions foi­reuses aurait pu accep­ter un titre fran­çais à la con genre « M. Wolff », même si la simple tra­duc­tion « Le comp­table » et sa pointe d’i­ro­nie s’im­po­saient natu­rel­le­ment. Mais « mis­ter Wolff », non, pas pos­sible — tant qu’à avoir un titre en anglais, autant gar­der l’original.