Morgane

de Luke Scott, 2016, ****

Morgane a plein de défauts. D’abord, il est réa­li­sé par Luke Scott. Ensuite, il traite de sujets à la mode — êtres amé­lio­rés, cobayes humains, tout ça. En outre, il ne pré­tend pas être autre chose qu’une hon­nête dis­trac­tion. Et pour finir, les hommes y sont réduits au rôle de figurants.

Vous dites que jusque là, vous ne voyez pas où est le pro­blème ? Moi non plus, pour être hon­nête. Mais appa­rem­ment, c’en est un gros pour les cri­tiques pro­fes­sion­nels, pour qui un reje­ton de Sir Ridley n’au­rait pas le droit de faire un truc plus acces­sible que Blade run­ner, pour qui il faut for­cé­ment intel­lec­tua­li­ser tout trai­te­ment de l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle, pour qui tout film doit être ambi­tieux et pour qui si les hommes sont réduits à la figu­ra­tion, c’est for­cé­ment par la faute d’un scé­na­rio basique.

Maintenant, si vous faites par­tie des gens pour qui on a le droit de faire ses propres choix, peu importe des couilles de qui l’on sort, et si vous pen­sez qu’un film a le droit d’être dis­trayant sans cher­cher à vous faire des nœuds dans la tête, vous allez peut-être trou­ver des qua­li­tés à Morgane.

La forêt, lieu de toutes les initiations depuis Le lièvre de Vatanen. - photo Twentieth Century Fox
La forêt, lieu de toutes les ini­tia­tions depuis Le lièvre de Vatanen. — pho­to Twentieth Century Fox

Bien enten­du, on l’a déjà plus ou moins dit, le scé­na­rio est assez direct : une nana pas super émo­tive, un genre de Léon au fémi­nin, est envoyée dans une villa/centre de recherches pau­mée dans la forêt (toute res­sem­blance avec Resident evil n’a cer­tai­ne­ment rien de for­tuite), où elle doit éva­luer une ado­les­cente arti­fi­cielle qui a agres­sé une des scien­ti­fiques qui l’exa­mi­naient. À par­tir de là, tout se déroule logi­que­ment, sans cher­cher le rebon­dis­se­ment inat­ten­du : les auteurs ont pré­fé­ré soi­gner les tran­si­tions, le rythme et l’am­biance avant un finale évi­dem­ment violent. Des sur­prises ? Non. Mais un petit papier à musique maî­tri­sé qui tourne tout à fait correctement.

Au pas­sage, vous aurez remar­qué un truc : une net­toyeuse, une cobaye, une tou­bib. Il y a peu d’hommes dans ce scé­na­rio, ils parlent rare­ment entre eux et lorsque par hasard c’est le cas, c’est tou­jours pour par­ler de Morgane ou de Lee. Vous avez recon­nu les cri­tères : ce film est un remar­quable échec au test de Ledcheb (c’est comme ça que j’ai déci­dé d’ap­pe­ler l’in­verse du test de Bechdel, déso­lé). C’est d’au­tant plus remar­quable que le scé­na­riste, Seth Owen, est un homme, de même que le réa­li­sa­teur Luke Scott et les pro­duc­teurs Mark Huffam, Michael Schaeffer et Ridley Scott. Or, les sta­tis­tiques sont claires : les films où les hommes sont aux manettes ont d’au­tant moins ten­dance à don­ner de vrais rôles aux femmes. Il est très amu­sant que la cri­tique s’é­meuve de ce « fémi­nisme » ou y voie un pré­texte à « voir deux filles se taper des­sus », quand elle trouve tout natu­rel que la seule femme d’un Expendables soit éga­le­ment la seule à avoir des vête­ments mou­lants et que tout son scé­na­rio soit une suite de bas­tons entre mecs.

On m'a tellement réduite au rôle de pouffe dans Les fant4stiques que j'ai décidé de faire un film où les hommes seraient juste bons à décorer l'arrière-plan de la cuisine. - photo Twentieth Century Fox
On m’a tel­le­ment réduite au rôle de pouffe dans Les fant4stiques que j’ai déci­dé de faire un film où les hommes seraient juste bons à déco­rer l’ar­rière-plan de la cui­sine. — pho­to Twentieth Century Fox

Tout ceci pour dire que Morgane n’a rien d’ex­tra­or­di­naire : c’est un petit thril­ler d’an­ti­ci­pa­tion cor­rec­te­ment fichu, avec une mon­tée de ten­sion pro­gres­sive et une réso­lu­tion évi­dem­ment bru­tale. On en com­prend rapi­de­ment les ficelles, qu’il dénoue sans grande sur­prise, mais il fonc­tionne plu­tôt bien. Ça n’a évi­dem­ment ni la ten­dresse ni l’é­mo­tion d’Eva, pour res­ter sur un sujet rela­ti­ve­ment proche, et les rares clins d’œil aux grands films de SF intel­lo (notam­ment celui du père) ne masquent pas un scé­na­rio plus proche de la ren­contre entre Vendredi de Robert Heinlein et Frankenstein de Mary Shelley. C’est évi­dem­ment une série B, mais assu­mée et qui n’a pas la pré­ten­tion d’être autre chose, ce qui en fait une dis­trac­tion tout à fait fréquentable.

Pour être par­fai­te­ment hon­nête, c’est un petit « dépasse les espoirs », qui serait peut-être plus à sa place dans la caté­go­rie d’en-des­sous ; mais la façon dont la presse fran­çaise l’a des­cen­du réveille mon côté contra­riant et jus­ti­fie ce petit bonus.