Room

de Lenny Abrahamson, 2015, ****

Jack ne vit pas dans une chambre ; Jack vit dans Chambre. La seule, l’u­nique. Il y a les murs, le lit, le lava­bo, les toi­lettes, la bai­gnoire, le pla­card, la table, les chaises, les livres, les jouets, la télé­vi­sion et le ciel, qu’on entre­voit par la vitre du pla­fond. C’est l’en­semble de l’u­ni­vers, où Jack vit seul avec sa mère. Le soir, Jack va dor­mir dans le bas du pla­card avant qu’ap­pa­raisse le vieux Nick, qui fait des bruits bizarres avec sa mère et dis­pa­raît dans la nuit. Parfois, sa mère craque et passe la jour­née pros­trée sur le lit, mais Jack est grand : il a cinq ans, et il sait se pré­pa­rer un bol de céréales, allu­mer la télé­vi­sion pour voir des images d’un uni­vers gigan­tesque né d’on ne sait quelle ima­gi­na­tion, et prendre soin de lui en atten­dant qu’elle reprenne ses esprits.

L'univers fait 15 m², mais on peut y faire des choses amusantes. - photo Caitlin Cronenberg
L’univers fait 15 m², mais on peut y faire des choses amu­santes. — pho­to Caitlin Cronenberg

Pour nous autres Français, le paral­lèle avec À moi seule est inévi­table : comme lui, Room s’ins­pire d’un enlè­ve­ment sui­vi d’une séques­tra­tion longue durée qui a récem­ment défrayé la chro­nique — après l’af­faire Kampusch, ce sont essen­tiel­le­ment les affaires Fritzl et Dugard qui ont été mises à contri­bu­tion. Mais en véri­té, la com­pa­rai­son ne devrait guère aller plus loin : les deux films sont à peu près aus­si dif­fé­rents qu’ils pou­vaient l’être, les points de vue étant radi­ca­le­ment différents.

Room est cen­tré sur Jack, son uni­vers, sa véri­té, à lui qui ne sait même pas qu’il existe quelque chose appe­lé « exté­rieur » et qui n’a jamais eu d’é­change qu’a­vec sa mère. Outre une approche évi­dem­ment ori­gi­nale (la mère, qui est la pre­mière vic­time de l’en­lè­ve­ment, n’est ain­si pas le centre du film), ce choix per­met d’of­frir un angle très ori­gi­nal : à l’é­chelle d’un enfant de cinq ans, l’u­nique pièce n’est pas un cloître angois­sant, mais un uni­vers presque géné­reux. Il évite ain­si de jouer la carte de la claus­tro­pho­bie pour se concen­trer plus libre­ment sur les rap­ports entre ses per­son­nages, un enfant de cinq ans rai­son­na­ble­ment nor­mal et une jeune mère qui essaie de le pro­té­ger de la réa­li­té de la séquestration.

En fait je m'étais trompé : la cuisine fait plus de 15 m², et c'est qu'un petit morceau de l'univers. - photo George Kraychyk
En fait je m’é­tais trom­pé : la cui­sine fait plus de 15 m², et c’est qu’un petit mor­ceau de l’u­ni­vers. — pho­to George Kraychyk

La seconde par­tie est évi­dem­ment basée sur la confron­ta­tion au monde réel, for­cé­ment dif­fé­rent de celui annon­cé, et la façon dont le fils et la mère vont essayer de s’y adap­ter. Moins ori­gi­nal que le huis-clos ini­tial et moins cen­tré sur Jack, ce second acte reste d’une finesse cer­taine, aus­si bien dans l’ex­plo­ra­tion des réac­tions des dif­fé­rents per­son­nages que dans des détails assez bien vus — la libé­ra­tion, c’est pas­ser d’une pri­son dont on ne peut pas sor­tir parce qu’on ne connaît pas le code à une pri­son dont on ne veut pas sor­tir parce qu’il y a trop de journalistes.

Très fine­ment écrit, Room n’est pas for­cé­ment un chef-d’œuvre sur le plan tech­nique, mais il pro­fite d’un rythme bien géré et d’am­biances très réus­sies. Les acteurs sont évi­dem­ment remar­quables et, dans l’en­semble, c’est sans cher­cher à en faire trop et sans for­cer ses effets que ce petit film extrê­me­ment réus­si véhi­cule tout un tas d’é­mo­tions complexes.