Le petit prince

de Mark Osborne, 2015, ****

C’est l’his­toire d’une petite fille trop sérieuse, qui ren­contre un vieillard frap­pa­dingue qui retape une épave d’a­vion dans son jar­din et gri­bouille sur du vieux papier l’his­toire du jour où, tom­bé en panne en plein désert, il a ren­con­tré un petit bon­homme blond.

Adapter Le petit prince, c’est être sûr de se cas­ser la gueule : c’est une des (grosses) nou­velles les plus lues au monde, elle a été dis­sé­quée dans tous les sens par des géné­ra­tions d’exé­gètes, la moindre vir­gule chan­gée peut faire hur­ler à la mort quelques mil­liers de dan­ge­reux maniaques et en même temps, sa nar­ra­tion et sa forme ne sont clai­re­ment pas idéales pour faire un film. Plutôt que de prendre ce risque, Osborne a donc pris le risque inverse : ne même pas essayer d’a­dap­ter le bou­quin, mais uti­li­ser la rêve­rie de Saint-Exupéry comme toile de fond d’une œuvre qui serait son propre délire oni­rique à lui.

Oui, ben si vous aviez passé trois jours dans le désert avec blondinet aspirant berger, vous auriez aussi perdu la boule, hein. image Paramount pictures.
Oui, ben si vous aviez pas­sé trois jours dans le désert avec blon­di­net aspi­rant ber­ger, vous auriez aus­si per­du la boule, hein. image Paramount pictures

Du coup, ce film n’est pas (que) un conte poé­tique, c’est avant tout une aven­ture ini­tia­tique pour une gamine dres­sée à l’ex­cel­lence dès son plus jeune âge, qui va logi­que­ment apprendre à être une enfant. C’est une des belles réus­sites du film que de ren­ver­ser ain­si les rôles en lais­sant celui de l’en­fant à un vieil homme irres­pon­sable : on peut être une grande per­sonne beau­coup trop tôt, et on peut res­ter jeune long­temps si on a assez de mémoire.

Sur le plan tech­nique, l’his­toire prin­ci­pale en images de syn­thèse est sans sur­prise, fluide, propre et bien fichue — Osborne avait réa­li­sé le pre­mier Kung-fu pan­da, loin d’être foi­reux de ce point de vue. Les mor­ceaux du Petit prince racon­tés par le vieux givré, réa­li­sés en ani­ma­tion image par image en papier, sont très sur­pre­nants à pre­mière vue, mais fran­che­ment réus­sis en seconde approche : il faut en fait prendre le temps de s’y faire pour les goû­ter et y trou­ver un vieux charme désuet qui colle assez bien au sujet.

L'animation en papier, bizarre mais finalement assez réussie. image Paramount Pictures
L’animation en papier, bizarre mais fina­le­ment assez réus­sie. image Paramount Pictures

Il faut aus­si noter dans le finale l’ap­pa­ri­tion du (plus si) petit prince, qui prend le maté­riau ini­tial à contre-pied pour pré­sen­ter une vision beau­coup plus moderne à la fois de la fable et de notre socié­té. Le petit prince de Saint-Exupéry a sou­vent été ana­ly­sé comme une allé­go­rie de la folie humaine en pleine Seconde guerre mon­diale, Le petit prince d’Osborne est une pré­sen­ta­tion expli­cite de la folie humaine en pleine Seconde ère commerciale.

Ces très bons points n’empêchent que, quelque part, on reste un peu sur sa faim. L’histoire est peut-être expé­diée un peu vite et aurait gagné à quelques appro­fon­dis­se­ments ; ain­si, la mère est cari­ca­tu­rale et n’est que cela — peut-être un chouïa de finesse eût-il été bien­ve­nu. On appré­cie­rait éga­le­ment que la vie quo­ti­dienne de l’hé­roïne soit un peu pré­sen­tée avant qu’elle com­mence à fuguer avec le bar­bu bar­jo, ou que la der­nière par­tie évite de s’ap­pe­san­tir sur la sym­bo­lique des étoiles comp­tées et recomptées.

Ces petits défauts sont suf­fi­sants pour que, fina­le­ment, je ne recom­mande pas le film les yeux fer­més ; mais pour qui aime ce genre de rêve­rie et ne paie pas les séances plein tarif, ça peut être une occa­sion de pas­ser très bon moment.