Tous au Larzac

de Christian Rouaud, 2011, ****

Dix ans. Pendant dix ans, 103 péque­nots habi­tant un pla­teau rocailleux pau­mé dans le mas­sif cen­tral s’ac­crochent à une idée idiote : ils veulent exploi­ter leurs terres, conti­nuer à faire pous­ser des légumes et des bre­bis et res­ter pay­sans, au lieu de vendre leurs cailloux à l’État pour agran­dir le camp militaire.

Coup de bol : c’est le bon moment. Leur lutte devient le sym­bole des luttes de la jeu­nesse : retour à la terre, anti-mili­ta­risme et liber­té de faire ce qu’on veut. Ces bons pagus cathos bien-pen­sants de droite voient débar­quer quelques mil­liers de che­ve­lus hir­sutes gau­cho-anar­chi­sants qui, curieu­se­ment, ont l’air déci­dé à les aider non seule­ment à conser­ver leurs terres, mais même à remettre en culture les fermes abandonnées.

Quarante ans plus tard, de ceux qui ont à l’é­poque lut­té contre le pla­teau, cer­tains sont morts ; mais les autres ont été inter­ro­gés et invi­tés à se remé­mo­rer les événements.

C’est un peu un grand bor­del, à l’i­mage de ce que fut la lutte elle-même — car on ne mélange pas faci­le­ment des jeunes cita­dins rêvant de retour à la terre et de vieux pay­sans convain­cus que ceux-ci ne sont que des bran­leurs fai­néants. Aujourd’hui encore, d’ailleurs, les sur­vi­vants ont une façon dif­fé­rente de voir et de racon­ter les choses, selon qu’ils étaient « pay­sans pur porc » (selon l’ex­pres­sion de Léon Maillé) ou immi­grés protestataires.

Le réa­li­sa­teur a pris le par­ti d’une nar­ra­tion chro­no­lo­gique, alter­nant images d’é­poque et inter­ven­tions plus récentes, ce qui est sans doute la seule façon de don­ner un aper­çu de ce qu’il s’est pas­sé. Le résul­tat est un patch­work par­fois phi­lo­so­phique, par­fois désta­bi­li­sant, et alter­nant rires et larmes : on peut pas­ser en quelques minutes de « les flics essayaient de conte­nir les bre­bis avec des bar­rières, mais à un moment il y en a une qui s’é­ner­vait un peu, elle sau­tait, elle cou­chait la bar­rière et zou, le trou­peau s’é­gaillait sur le Champ-de-Mars¹ » à « ils auraient atta­qué la ber­ge­rie, on aurait com­pris, on savait qu’elle était illé­gale… Mais plas­ti­quer une mai­son, la mai­son où il y avait la plus grande famille avec le plus d’enfants… ».

Mais c’est aus­si une his­toire inté­res­sante, qui ne peut que faire réflé­chir quand, quatre décen­nies plus tard, la jeu­nesse ne semble plus avoir de grande lutte, de grand espoir, de grande inquié­tude, mais juste la morne convic­tion de ne rien pou­voir faire contre des enchaî­ne­ments de crises macro-éco­no­miques qui minent la société.

Et puis bon, on n’a pas tous les jours l’oc­ca­sion de com­prendre d’où vient la mous­tache de José Bové.

¹ Notons au pas­sage que la deuxième occu­pa­tion du Champ-de-Mars, dont est extraite cette cita­tion approxi­ma­tive, a com­men­cé il y a trente-et-un ans, jour pour jour.